Incertitude + pression, ou comment obliger à s'adapter : question de feeling ?
De nombreux experts professionnels issus de différents domaines (pilote d’avion, médecin d’urgence, pompier, marins, sportifs…) ont en commun de gérer quotidiennement des situations de travail caractérisées par une forte dynamique, une incertitude élevée, une pression temporelle et des enjeux importants !
Afin de mieux comprendre et décrire comment ces experts gèrent ces situations critiques et instables, Klein et plusieurs collaborateurs (1986) ont réalisé une étude passionnante et majeure en Psychologie Ergonomique sur des commandants pompiers Américains très expérimentés confrontés à des situations réelles de gestion d’incendie urbain.
Ils ont alors constaté que lors des situations d’urgence[1], les décisions des commandants pompiers ne s’inscrivaient pas dans la comparaison consciente du rapport coût-bénéfice de chaque option (choix optimal) mais plutôt dans un processus de reconnaissance[2] de représentation de situation typique contenue en mémoire (schéma d’action construit avec l’expérience) avec la représentation de la situation occurrente (cadre), afin de ne pas perdre de temps (garder le contrôle de la situation) et trouver une solution d’action faisable, adaptée et efficace ! Cette partie dite d’évaluation de la situation est essentielle lors de la prise de décision et va de pair avec la simulation mentale qui permet en cours d’action, au décideur (sans passer par l’abstraction) de planifier et d’anticiper les évènements et ses choix. Par ailleurs, ces processus de perception et de reconnaissance permettent de développer la Situation Awareness[3] (Klein, 1999).
[1] Moins d’une minute pour prendre une décision.
[2] Non-conscient, moins couteux, plus rapide.
[3] Le niveau de conscience qu’a l’individu de la situation dans laquelle il est engagé.
L'analyse de Christopher
C’est ce que beaucoup appellent le « feeling », ce qui pousse un marin de manière presque inconsciente à faire un choix stratégique dans une situation complexe. En creusant un peu, on se rend compte que ce choix n’a rien à voir avec le feeling. Il est le fruit de l’expérience du navigateur, qui est passé des centaines de fois dans cette baie avec ce type de conditions de vent ou qui a inconsciemment reconnu les traits d’une situation stratégique à laquelle il a une réponse adaptée « en magasin ».
Une prise de décision, trois niveaux
À la suite de cette expérience, Klein et al (1986) proposeront le modèle RPD (« Recognition Primed Decision-Making ») à trois niveaux :
- Niveau 1 : La situation occurrente est reconnue rapidement.
- Niveau 2 : La situation requiert davantage de temps pour être reconnue.
- Niveau 3 : Réponse typique peu efficace alors seconde option envisagée (Klein, 1997 ; Klein et al., 1986).
Ce modèle a un double intérêt car il permet de décrire et rendre compte des décisions rapides en environnement naturel et dynamique, comme dans notre exemple des commandants pompiers mais également des décisions plus lentes (analytique). En outre, on peut noter un point très intéressant de développement potentiel dans l’amélioration de la prise de décision des opérateurs, c’est qu’il est possible d’entraîner les processus de reconnaissance des situations grâce à l’expérience (modèle mentaux), l’entraînement à la reconnaissance (Script/cadre) et à la simulation mentale (Klein, 1997).
L'analyse de Christopher
Je pense qu’il y a un vrai travail de conscientisation de cette expérience des situations stratégiques. Sans pour autant en éditer un catalogue, quoique certains skippers le font, on peut déjà opérer un vrai travail d’optimisation du process de décision. En opérant cette distinction entre un sujet stratégique complexe qui nécessite un travail de réflexion complet et outillé et un sujet stratégique reconnu ou déjà vécu sur lequel on aura «simplement» à adapter une réponse «type», alors nous pourrons mieux comprendre le processus de décision.
Pour aller plus loin
Chauvin, C., Clostermann, J., & Hoc, J.-M. (2008). Situation awareness and the decision-making process in a dynamic situation: avoiding collisions at sea. Journal of cognitive engineering and decision making, 2(1), 1-23.
Klein, G. A., Calderwood, R., & Clinton-Cirocco, A. (1986). Rapid decision making on the fire ground. Proceedings of the human factors society annual meeting
Macquet, A.-C., & Lacouchie, H. (2015). What is the story behind the story? Two case studies of decision-making under stress. Proceedings of the Twelfth International Conference on Naturalistic Decision Making, McLean, VA,
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