La voile française a une nouvelle championne ! En terminant 7ème au scratch et première fille face à plus de 250 concurrents (car la voile est un des rares sport où les femmes peuvent être sur la même ligne de départ que les hommes), Lomane Valade (14 ans) a été sacrée championne du monde d’Optimist.
Il n’en fallait pas plus à notre champion à nous pour s’interroger sur les filières d’excellence du sport français. Petite analyse maritime de la performance sportive.
L'analyse de Christopher Pratt
Outre le fait que cet exploit en Optimist n’est pas arrivé depuis plusieurs années, l’approche des JO ou encore le naufrage des tennismen français à Roland-Garros m’a rappelé ce débat passionnant que je me permets de partager avec vous.
Les jeunes sportifs français sont souvent, très souvent, brillants. Prenons l’exemple du tennis : Gasquet, joueur précoce, est devenu n°1 mondial des juniors à 16 ans. Il n’a pourtant jamais gagné de Grand Chelem. Un scénario qui se répète souvent en voile : nos champions juniors sont rarement, pour ne pas dire jamais, champions olympiques dans les années qui suivent leur titre. Il semble qu’on assiste à une inévitable perte de performance entre junior et senior.
Pourquoi ? Que perd-on en chemin ?
C’est une vaste question qui me semble à la croisée des chemins entre de multiples champs disciplinaires. Sociologie, psychologie, économie et sport sont tous à prendre en compte.
De mon histoire personnelle
Pour tenter de dessiner les contours d’une réponse, vous me pardonnerez d’avoir concentré ma réflexion sur mon petit nombril.
J’ai commencé la voile tout gosse, je suis presque tombé dedans, tel Obélix dans la potion magique. Contrairement à moi, mes parents (soixante-huitards invétérés) n’étaient pas trop branchés compétition. Loin de lâcher l’affaire, je sillonnais la méditerranée en croisière sur l’écume de mer familial (NDLR un bateau de plaisance des années 70) et la rade de Marseille sur Loulou, mon Optimist. Seule ombre au tableau : je n’étais pas tous les week-ends en compétition comme les enfants que je regardais avec envie et admiration quand ils chargeaient leur Optimist sur le toit de la berline familiale…
Frustration, rêve… beaucoup de choses se sont peut-être construites là.
La frustration de ne pas en être, de ne pas connaître ce que vivaient les autres, de ne pas me battre contre de vrais adversaires. Les rêves, ceux que je faisais m’imaginant gagner les plus grandes courses à la barre de mon Loulou à qui je parlais, que j’encourageais, me voyant couper la ligne d’arrivée en vainqueur toutes catégories…
Après plusieurs années de parlementations (ou harcèlement, c’est selon), j’ai convaincu les autorités parentales de m’inscrire à mes premières régates et d’accrocher une remorque à la Simca 1000 pour aller prendre mes premières branlées en régate. Alors certes, plus de frustration, mais on était très loin des rêves que je faisais à la barre de mon Loulou…. Déçu sûrement, mais pas découragé, j’ai passé des jours et des jours sur l’eau à naviguer, si bien qu’un jour un entraineur, Olivier Magne, a fini par me repérer. Il est allé voir le directeur du sport étude et lui a dit (presque dans le texte) « J’en ai un là, il est mauvais mais putain il est vraiment motivé ! »
C’est comme ça que je suis entré dans le monde du haut niveau, par la toute petite porte. Par le travail et l’acharnement, pas par le talent… Petit à petit, j’ai progressé et puis j’ai fini par gagner, par réaliser les rêves les plus fous que je faisais à la barre de mon Loulou.
Motivation vs Talent ?
La motivation vs le talent : telle serait donc l’équation ? Une vison trop simpliste et manichéenne selon moi, et pourtant je pense sincèrement que mon envie est née dans la frustration, que ma détermination s’est construite au banc du fossé qui séparait mes rêves de la réalité de mon niveau…
À plus grande échelle, si l’on regarde dans le milieu de la voile de compétition, on se rend compte que la majorité des plus grands skippers nationaux n’étaient pas les plus doués en catégorie junior. Ceux qui ont été médaillés olympiques n’étaient pas toujours non plus les cracks des championnats jeunes…
Les talents précoces sont souvent accompagnés par un entourage qui, volontairement ou non, met une pression énorme sur leurs épaules et projette un avenir qu’il est peut-être frustré de ne pas avoir connu. Il en résulte souvent, jeune adulte une difficulté à redéfinir un projet qui prend sens au plus profond d’eux-mêmes… Et puis il faut avouer que le talent est souvent amplement suffisant pour faire des merveilles dans les catégories minimes ou cadet, mais quand on rentre dans le monde professionnel ou que l’on intègre une filière olympique, on entre dans un autre monde. Nos adversaires ont tous plus ou moins un talent identique, et ce n’est plus là que cela se joue. Cela a plus à faire avec le travail, la rigueur, la concentration, la confiance mais aussi la détermination et l’acharnement. Alors les talentueux nonchalants déchantent souvent…
Carrière sportive ou carrière tout court ?
Dernier élément, et non des moindres, ce moment clé arrive aussi au moment des choix d’études, intégrer une grande école, faire une prépa et souvent devoir renoncer aux 5 entrainements hebdomadaires pour rentrer dans le rang. Et en effet, il y a peu d’élus qui choisissent la voie du haut niveau en parallèle des études, parce qu’il faudra 3, 5 ou 10 ans pour arriver au sommet, pour aller aux Jeux Olympiques ou être coureur au large pro…
Aussi peut-être parce que nous ne savons pas, institutions, écoles et entreprises françaises accompagner ces jeunes champions. Le monde du travail français, à l’inverse de ses homologues anglo-saxons, n’a pas encore bien perçu les pépites que peuvent représenter pour quelle qu’organisation que ce soit un sportif ou ex-sportif de haut niveau.
En voile en tout cas, nous en « perdons beaucoup » pour ces raisons. Dans les autres sports, je ne me permettrais pas une analyse si poussée, mais simplement quelques remarques. On entend souvent « il n’a pas le mental » ou encore « elle n’est pas assez forte dans sa tête ».
Si on reprend notre exemple du tennis (et excusez-moi si je dis des âneries), Gasquet était un diamant de talent à l’état brut dans sa jeunesse. Il battait Nadal junior à chaque rencontre… Et pourtant, on connait la suite de l’histoire. Quelle différence ensuite ? Le mental peut-être, le physique sûrement (et quand vous avez la caisse et bien la tête suit aussi), la détermination sans doute, la motivation probablement. Et si le sujet était en fait avant tout l’envie, la motivation et l’autodétermination dont font preuve les très grands champions ? Est-ce une caractéristique nationale que de n’avoir pas assez envie ? Est-ce une caractéristique sociologique, que les personnes modestes auraient plus envie que ceux qui sont nées avec une cuillère en argent ? Est-ce un trait psychologique ? Faut-il être fou pour s’infliger autant de souffrance et de sacrifices pour une médaille, pour lever les bras au ciel quelques instants ? Il y aurait donc un gène de la gagne que l’on transmet de génération en génération ?
Je n’ai pas de réponse à toutes ces questions mais je trouve le sujet passionnant. J’aimerais vraiment comprendre pourquoi les français sont souvent de jeunes champions talentueux mais plus rarement de grands champions « laborieux ». Et pour aller un peu plus loin dans la réflexion, la performance, la victoire et les titres sont-ils une fin en soi, érigés comme ils le sont en objectif suprême de tout sportif de haut niveau ? Est-ce que l’excellence ne vaut pas mieux que la performance ? Mais surtout, la connaissance et l’épanouissement personnel, le bien et le bonheur de performer dans son sport ne valent-ils pas la joie éphémère d’une victoire sur les autres ?
« Food for thoughts », comme on dit de l’autre côté de la Manche.
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