Quand l'ingénierie de la résilience nous rappelle l'importance du compromis
La résilience, qu’es aquò ? Nous vous en parlions au début du mois sur LinkedIn. Dans le spectre de l’ingénierie de la résilience, elle est la « capacité intrinsèque d’un système à adapter son mode de fonctionnement avant, pendant et après la survenue de perturbations, de sorte qu’il puisse assurer la continuité de ses activités dans des conditions aussi bien prévisibles qu’imprévues ».
Ce mois-ci, Maël et Christopher nous expliquent pourquoi elle est nécessaire dans la gestion des risques pour une meilleure performance.
Comment lier performance et sécurité ?
Les arbitrages entre les objectifs de performance et de sécurité sont au cœur des préoccupations des acteurs qui travaillent dans des systèmes complexes à hauts risques tels que le domaine nucléaire, l’aviation civile, la médecine (anesthésie) ou l’armée (aviation, sous-marin).
En effet, certains accidents industriels majeurs arrivés au 20ième siècle (Three Miles Island, 1979 ; Bhopal, 1984 ; Tchernobyl, 1986, etc.) ont conduit les spécialistes de ces domaines à chercher des solutions pour comprendre et éviter de telles catastrophes, en travaillant au fil des années sur différents paramètres comme la fiabilisation des composants techniques des systèmes ; la modélisation du fonctionnement cognitif des opérateurs (Rasmussen, 1983, 1986) ; les travaux sur l’erreur humaine (Leplat, 1985 ; Reason, 1988) ; ou encore le côté systémique avec l’amélioration des sphères managériales et organisationnelles (Reason, 1997 ; Rasmussen, 1997). En parallèle des approches systémiques, un angle novateur va se construire dans l’analyse du couplage homme – machine, en s’intéressant à leur dynamique d’interaction plus qu’à leurs défaillances respectives (Hollnagel et Woods, 1983). À la suite de ces travaux, de nombreux chercheurs en Psychologie Ergonomique suivront cette mouvance (Amalberti, 2001 ; Hoc & Amalberti, 2007 ; Klein & al., 1993 ; Billings, 1997 ; Woods & al., 1994) et développeront une approche de la sécurité des systèmes complexes articulée autour du concept de résilience.
L’intérêt pour ces modèles est particulièrement marqué pour les systèmes sociotechniques hautement dynamiques, incertains et très risqués comme le domaine maritime (pêche hauturière, transport…) dont fait partie la course au large, qui partage par ailleurs cette problématique de compromis performance/risque avec d’autres sports mécaniques outdoor.
Le témoignage de Christopher
La course au large en équipage réduit en voilier prototype type IMOCA (les bateaux du Vendée Globe) est un sport mécanique de pleine nature. Si l’on devait comparer à un autre sport, c’est le Paris-Dakar sauf que nous avançons seulement avec la force du vent, qui est instable ! Ce qui est très similaire avec le monde du rallye auto, c’est la balance perpétuelle entre la vitesse et la préservation du matériel. Trop vite tu casses le bateau, trop lent tu perds la course. Il faut imaginer que nous naviguons à bord de voiliers capables d’aller très vite sur une mer plate mais que si nous adoptons la même conduite alors que la mer est formée, nous détruisons le bateau en un rien de temps 🙂 Tout le jeu consiste à trouver le bon équilibre entre vitesse et sécurité. On est dans une mesure perpétuelle des risques, une balance qu’il faut équilibrer et dans laquelle entre un nombre incalculable de critères plus ou moins tangibles, plus ou moins objectifs, plus ou moins situationnels.
Résilience dans la performance : l'exemple de Christopher lors de la Transat Jacques Vabre 2013
Nous sommes au coude à coude avec l’IMOCA Safran pour la seconde place, le premier est hors de portée et le quatrième largement distancé. Le vent forcit et Safran ne cesse de revenir sur nous, notre analyse est que le bateau est déjà trop chargé et qu’il est risqué de renvoyer de la toile (risque de démâtage ou de casse rédhibitoire) mais nous ne voulons pas laisser cet adversaire nous doubler… Alors on prend du recul et on regarde le projet dans son ensemble. Cette course est la seconde que nous faisons avec ce sponsor et la première s’est soldée par un abandon. En ralentissant légèrement, nous assurons un podium et le projet se trouvera dans une très bonne dynamique pour la suite. En prenant le risque de renvoyer de la toile, pour peut-être parvenir à terminer second, nous nous exposons à un démâtage et un abandon qui dans le contexte global du projet serait une « catastrophe »… Nous optons pour une conduite sage pour assurer un podium. Le sponsor et nous sommes ravis de ce choix à l’arrivée. Surtout en découvrant que Safran a terminé la course à bout de souffle avec un système de gouvernail qui ne tenait plus que par quelques millimètres de carbone.
Analyser le projet (et les risques associés) dans son ensemble pour prendre la meilleure décision possible
La décision est systémique. Elle est ponctuelle mais se construit dans un environnement global complexe et multifactoriel. Avoir une vision globale du système, du projet, des enjeux et des risques est fondamental pour faire les bons choix.
Gestion des risques et prise de décision
Pour optimiser ses prises de décision en course au large, il apparait donc essentiel de construire un système qui soit capable de s’adapter et de faire face à des perturbations tout en maintenant des objectifs élevés de performance. En tant que processus dynamique et continu qui consiste à développer et manager quatre capacités (Répondre, Surveiller/Percevoir, Anticiper et Apprendre) exercées sans interruption, le modèle de l’ingénierie de la résilience répond particulièrement bien à ces exigences. En outre, les nombreux progrès techniques (i.e. matériaux, foil, ordinateur de bord, etc.) réalisés ces dernières années ont amené les bateaux à un degré de performance très élevé. Par conséquent, la prise en compte du facteur humain (individuel, collective et organisationnelle) devient un levier essentiel dans l’optimisation de la performance sportive ainsi que dans la gestion des risques liés à de telles courses en haute mer.
L’application du paradigme de l’ingénierie de la résilience peut être transversale à de nombreux domaines et envisagée comme nouveau mode de management dans le sport ou au sein des entreprises !
Pour aller plus loin :
L’article de Christopher Pratt et Mathias Szpirglas pour The Conversation : Vendée Globe, pour gagner, il faut apprendre à ne pas perdre
L’ingénierie de la résilience : un nouveau modèle pour améliorer la sécurité des patients ? L’exemple de l’anesthésie de Lucie Cuvelier (2013)
Le système sociotechnique des pêches maritimes : résilient mais peu sûr de Gaël Morel (2008)
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