Le mois dernier nous vous parlions dans notre article du mois de l’expérience extrême qu’avait vécu Christopher lors du chavirage de nuit du multicoque Drekan Groupe lors de la transat Jacques Vabre 2017.
Dans l’histoire de la course au large, il y a de nombreux exemples d’accidents similaires qui finissent bien comme celui de Kevin Escoffier lors du dernier Vendée globe lorsque son Imoca s’était brisé en deux au large de l’Afrique du sud ou encore Yann Eliès qui se casse le fémur à 800 miles des côtes Australienne lors Vendée globe 2008.
Malheureusement, ce type d’évènement peut parfois être plus tragique comme la disparition d’Alain Colas sur son bateau Manureva lors de la première édition de la Route du Rhum ou la triste course Fasnet de 1979 (15 morts).
Par ailleurs, on trouve dans le milieu maritime d’autres professionnels qui affrontent ces éléments extrêmes comme la navigation commerciale ou la pêche hauturière, considérée comme l’un des métiers le plus accidentogène et mortel, toutes activités confondues (Chauvin et Le Bouar, 2007; Morel, 2006)
Pour faire face aux risques liés à cet environnement extrême (houle, vent, froid, bruit, choc, instabilité…) et particulièrement dynamique [5] (concurrents, OFNI, vague…) le skipper a des ressources internes lié notamment à son niveau expertise.
[5] « …possibilité́ de changement hors de toute action de l’opérateur » (Hoc, 1996, p. 50).
Commentaires de Christopher :
Un skipper c’est un peu un médecin généraliste, il doit être en capacité de tout gérer sur un bateau et donc d’avoir un niveau de compétence certaines dans tous les domaines de la performance (technique, sécurité, navigation, météo, sportif etc…) mais par-dessus, tout ce qui va faire la différence ce sont ses soft skills, sa résilience, sa capacité d’adaptation, sa motivation intrinsèque, sa capacité de remise en question et son esprit de synthèse.
L’adaptation[1] aux variations de cet environnement (et aux exigences de ses tâches) est au cœur de l’activité de navigation du skipper et on peut considérer le système skipper-bateau comme un système cognitive couplé (Hollnagel, 1993).
Ainsi, pour s’adapter à ces situations dynamiques (maîtrise de la situation[2]) le système cognitif va essayer de les maintenir dans un domaine « où il peut satisfaire des exigences acceptables en y consacrant des ressources internes (connaissances et énergie) en quantité supportable » (Hoc & al., 2004). C’est d’ailleurs le décalage entre exigences et ressources qui peuvent engendrer du stress (Lazarus, 1966, 1999), qui par ailleurs, aide à l’entretien de la motivation si elle reste dans une zone optimale d’activation (loi de Yerkes et Dodson, 1908).
[1] « Les capacités adaptatives d’un acteur, vivant ou artificiel, à son environnement ». (Hoc & al., 2004)
[2] « Le sentiment que, malgré́ les incertitudes, les risques de voir la situation échapper au contrôle sont très réduits » (Hoc & al., 2004)
Commentaires de Christopher :
Le skipper en solitaire est en permanence en train d’essayer de prioriser les éléments constitutifs à la prise de décision. Quand on observe un navigateur au plus haut niveau de performance, il a une capacité à simplifier des situations complexes et donc à aboutir à une prise de décision rapide en environnement incertain.
Cela passe par beaucoup de travail de préparation en amont et s’appuie sur l’expérience, le vécu du navigateur, sa capacité à reconnaitre consciemment ou inconsciemment des situations complexes et donc à décider rapidement. Un des skippers les plus incroyable avec lequel j’ai eu la chance de naviguer est Armel Le Cleac’h qui a cette capacité impressionnante à simplifier des situations complexes !
Face à la complexité et la fluctuation des situations rencontrées, le skipper va tenter d’exercer le contrôle sur une partie du processus en gérant à la fois le temps et l’incertitude. Ainsi, pour avoir le temps d’agir, il construira une « compréhension non exhaustive et suffisante de la situation » (Amalberti, 1996). Dans la gestion du temps, Cellier (1996) propose deux types de stratégies : réactives ou anticipatrices.
Système skipper-bateau-environnement : Course au large solitaire sur Imoca
Pour conclure, le skipper va donc essayer de contrôler son propre bateau et la situation dans laquelle ce dernier évolue. La régularisation de son activité de navigation est opérée par un système cognitif couplé local (micro) : le système homme-navire-environnement. Par ailleurs, ce dernier ce dernier existe à l’intérieur d’un système cognitif plus global (macro) : le trafic maritime (institutions, organisations, règle, bonnes pratiques…).
Aller plus loin :
Hoc, J. M., Amalberti, R. E. N. É., Cellier, J. M., & Grosjean, V. I. N. C. E. N. T. (2004). Adaptation et gestion des risques en situation dynamique. Psychologie ergonomique: tendances actuelles, 15-48.
MOREL, G., & LESTIC, E. Le système sociotechnique des pêches maritimes: résilient mais peu sûr.