Donner du sens pour éviter les situations de crise
Au quotidien, nous pouvons tous être confrontés à des situations dynamiques, complexes, incertaines et parfois risquées. Du fait de la limitation de nos capacités cognitives (Cherniak, 1986; Simon, 1996), nous ne pouvons pas tout analyser ni tout intégrer lors de ces évènements. En effet, nous percevons, nous interprétons, nous privilégions des connexions entre certains éléments pour agir (Norman, 1981, 1986). Ainsi, nous essayons de donner du sens à cette situation dynamique afin d’éviter la perte de contrôle et, ce faisant, les potentielles situations de crise qui pourraient en découler (Weick, 1988, 1995, 2009).
L'analyse de Christopher
En situation de crise, dans une tempête ou lors d’une avarie, notre attention se porte sur les sujets fondamentaux : rester en vie et maintenir le bateau à flots. Pour être fait de manière très intuitive, un focus se fait sur un nombre d’éléments restreints et fondamentaux de la situation à appréhender car la vitesse de réaction est importante. Par exemple, lorsque je me suis retrouvé à nager en apnée sous le filet de notre trimaran retourné, je n’avais qu’un seul objectif : nager dans une direction constante sans paniquer. Si j’avais pris le temps d’analyser la situation dans son ensemble, je ne serais probablement pour vous en parler !
Donner du sens pour comprendre
Lorsqu’un individu veut agir dans un environnement complexe, hautement dynamique, incertain et à haut risque, il aura besoin de temps pour donner du sens à ses interactions. Dans ce type de situations, il va construire une compréhension non-exhaustive et suffisante de la situation (Amalberti & Hoc, 1998). Cette construction de sens est dynamique et peut changer au fur et à mesure de l’évolution de la situation.
L'analyse de Christopher
Lorsqu’une situation météorologique extrêmement complexe se présente en mer, nous procédons à une hiérarchisation des éléments de notre check-list stratégique. Cela se fait de manière intuitive ou plus méthodique, en fonction du temps dont nous disposons pour décider. Rendre simple une situation complexe permet d’en extraire les items prépondérants pour décider vite et bien. Avoir des mots-clés (un peu comme des valeurs, des mantras) peut aider à garder un cap, une direction dans les différentes situations auxquelles nous faisons face. Simplicité, sécurité et économie sont par exemple des mots clés qui peuvent être précieux à avoir en tête au moment de trancher.
Klein et son processus de construction de sens
Klein, un auteur issu du courant de la Natural Decision Making, s’est particulièrement intéressé au processus de construction de sens à travers plusieurs recherches (Klein et al., 1993 ; Klein et al. 1986) qui lui ont permis de développer la théorie des interactions « données-cadre » (Klein et al., 2007). Il a développé le modèle RPD (le modèle de la Recognition Primed-Decision rend compte des décisions lentes et des décisions rapides) (Klein et al., 1997) qui nous intéresse spécialement chez MARSAIL car il permet d’expliquer comment les experts utilisent leurs connaissances et leurs expériences pour donner du sens aux situations qu’ils rencontrent en environnement dynamique, et aussi la façon dont ils prennent leurs décisions.
Ce modèle sera utilisé dans les prochaines expériences scientifiques en course au large que nous allons réaliser dans le cadre de nos projets de recherche & développement chez MARSAIL.
Pour aller plus loin
Amalberti, R., & Hoc, J-M. (1998), Analyse des activités cognitives en situation dynamique : pour quels buts ? Comment ? Le travail humain, 209-234.
Klein, G., Phillips, J. K., Rall, E. L., & Peluso, D.A. (2007); A data-frame theory of sensemaking. Expertise out of context : Proceedings of the sixth international conference on naturalistic decision making.
Macquet, A.-C., & Fleurance, P. (2006). Des modèles théoriques pour étudier l’activité de l’expert en sport. Movement Sport Sciences (2), 9-41.